Le talon-pointe


Le talon-pointe
2014-01-02 00:00:00



Les 3 premiers essais piste de RACER’S retranscrivent très bien la tendance des voitures de sport modernes. Elles voient peu à peu disparaître la pédale d'embrayage pour laisser place aux boîtes robotisées ou séquentielles. On peut le vérifier chez tous les constructeurs de voitures de sport qu'ils soient allemands, français, italiens ou japonais. Ferrari a abandonné les boîtes mécaniques depuis bien longtemps, Nissan fait fureur avec sa boite double embrayage depuis la sortie de la GTR, la nouvelle Clio 4 RS a des palettes au volant et même Porsche qui faisait de la résistance avec ses modèles sportifs ne propose plus la GT3 en boîte mécanique. C'est ainsi que la technique du talon pointe se perd progressivement, de moins en moins utile pour piloter. Mais heureusement pour nous, il reste beaucoup d’aficionados des boites mécaniques ... Si l'on prend l'exemple du parcours d'un jeune pilote qui démarre en karting, bascule en F4 puis en Formule Renault, et qui termine en Formule 1, il n'aura jamais eu à appuyer sur une pédale d'embrayage pour rétrograder un rapport ! Incroyable non ? Il se murmure même dans la profession que certains pilotes actuels de F1 seraient incapables de piloter une voiture historique sur piste, avec un talon-pointe et un double débrayage obligatoire.



Talon-Pointe



Alors pourquoi aborder ce sujet en 2013 ? Même si la tendance change progressivement, la grande majorité des sportives qui roulent lors de journées club sont encore en boîte mécanique : Megane RS, Lotus Exige, BMW M3, Porsche 997 GT3 et j'en passe. Je ne dénigrerai cependant pas les boîtes séquentielles ou robotisées dans cet article, car chacun est libre de faire le choix qu'il veut pour son auto et trouve son plaisir de pilotage différemment. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que les boîtes mécaniques n'existent plus en compétition depuis de nombreuses années : l'électronique fait ça beaucoup mieux que nous et niveau performance, c'est imbattable ! Mais la maîtrise du talon-pointe apporte toujours une satisfaction personnelle importante, où chaque coup de gaz au rétrogradage éveille nos sens. L’apprentissage de la technique est long, même très long, et les écoles de pilotage qui proposent encore de l’apprendre se font de plus en plus rares. Cet article vous permettra de comprendre à quoi il sert et vous donnera les bases pour le mettre en oeuvre, mais le conseil le plus important que l’on puisse donner, c’est de le pratiquer quotidiennement pour le maîtriser, au risque de paraître ridicule en arrivant à un feu rouge en plein Paris avec son petit diesel...




Le blocage de boîte



Avant d'aborder la technique en elle-même, il faut comprendre la nécessité de réaliser un talon-pointe sur un véhicule équipé d'une boîte mécanique. Il y a beaucoup d'idées reçues à son sujet, comme le fait qu'il existe un vrai et un faux ou qu'il permette de passer les rapports plus vite, mais son principal rôle est d'empêcher le blocage de boîte. Cela se traduit par une sensation très désagréable, surtout à haute vitesse, de blocage des roues motrices. Sur une traction, ne pas le maitriser n'a pas de grandes conséquences mais dès que l'on commence à rouler fort avec une propulsion, le blocage des roues arrière peut avoir des effets ... surprenants! Pour comprendre ce qu'est un blocage de boîte, il faut décomposer toutes les étapes du rétrogradage et analyser l'impact de nos gestes sur la mécanique et sur le comportement de la voiture. Les principaux groupes mécaniques qui vont jouer un rôle pendant les changements de rapports sont l’embrayage et la boite de vitesses : ça tombe bien, ce sont des éléments sur lesquels nous pouvons intervenir ! Lorsque l’on dit "boite de vitesses", on va considérer que c’est identiquement équivalent aux roues. La vitesse de rotation n’est bien sûr pas la même en valeur mais elle est directement liée et proportionnelle. Pour entamer un rétrogradage, on commence en général par appuyer sur la pédale de gauche. On dit que l’on "débraye". Cela signifie qu’on coupe la liaison entre le moteur et les roues pour pouvoir manipuler la boite de vitesses. On se retrouve donc avec deux ensembles mécaniques totalement désolidarisés, qui vont tourner à des vitesses différentes. Les roues gardent une vitesse de rotation élevée car elles sont en lien avec la route, tandis que le moteur redescend en régime puisqu’il est libre. Tout le problème se trouve ici ! Lorsque l’on va relâcher la pédale d’embrayage, le moteur et la boite seront à des vitesses de rotation bien différentes avec 2 issues possibles : soit le moteur accélère pour rejoindre la vitesse de rotation des roues Rapport engagé roues, soit ce sont les roues qui vont ralentir pour se mettre en phase avec le moteur. Si vous avez déjà eu l’occasion d’essayer de faire tourner le vilebrequin d’un moteur à la main, vous avez pu vous rendre compte que c’était assez difficile... Ce sont donc les roues qui vont ralentir ! Au moment où on recolle l’embrayage, la boite se "bloque" pour que les roues retrouvent une vitesse de rotation adaptée au régime de rotation du moteur. Lorsqu’on pilote une propulsion ce phénomène est très gênant, car pendant la phase de freinage il y a un transfert de charge sur l’avant de la voiture. Le train arrière est délesté, entraînant un blocage immédiat des roues arrière quand on relâche l’embrayage. Sur un rétrogradage à haute vitesse en appui, ça peut vraiment vraiment très mal finir !!!




La relance moteur



Pour pallier ce problème, on va devoir remettre un coup de gaz avant de relâcher la pédale d’embrayage. Cela permettra de remonter le régime du moteur à un niveau de rotation proche de celui de la boite de vitesses (donc des roues), et d’éviter le blocage. On appelle ça la “relance moteur”. Le seul problème c’est qu’à ce moment là, on est plutôt occupé ! Le pied gauche sur l’embrayage, le pied droit sur le frein, une main sur le volant et l’autre en train de changer de rapport. Vous pouvez tenter l’appel à un ami, mais globalement il ne nous reste pas grand chose de disponible pour aller mettre ce coup de gaz. Il va falloir appuyer sur trois pédales en même temps alors que nous n’avons que deux pieds (enfin a priori...), et c’est bien entendu le pied droit qui va se charger de se répartir entre le frein et l’accélérateur. Le terme "Talon-Pointe" est un abus de langage, car ce n’est pas littéralement le talon qui va venir toucher la pédale des gaz. Suivant les pédaliers, on adaptera la position de son pied sur les deux pédales.



Difficultés



Il y a deux grosses difficultés dans la mise en oeuvre de cette technique. La première est que la relance moteur doit se faire au bon moment et avec la bonne intensité pour être efficace. Si on la fait trop tôt, le moteur redescendra en régime avant que l’on ait relâché la pédale de gauche et n’éliminera pas complètement le blocage de boite. Si on la fait trop forte, le moteur sera trop haut en régime et aura tendance à "pousser" la voiture quand on relâchera l’embrayage. La seconde difficulté est un des points les plus importants à retenir de cet article : le Talon-Pointe ne doit JAMAIS perturber le freinage. Il va donc falloir de longues heures d’entraînement pour pouvoir maîtriser cette technique, le but étant de complètement l’automatiser pour pouvoir se concentrer sur les autres choses que l’on doit gérer à ce moment là. Une fois ces pré-requis en tête, il faut se lancer par étapes. Dans un premier temps, s’entraîner avec la gestuelle en décomposant les mouvements à l’arrêt, moteur éteint. Ensuite, sans toucher les freins, apprendre à synchroniser une relance moteur brève et précise lorsqu’on rétrograde, par exemple en arrivant sur un rond point. Et enfin, combiner le tout pour obtenir un Talon-Pointe. Au départ, ça ne ressemblera à rien et vous aurez l’air ridicule, la voiture donnant des àcoups car vous aurez trop bougé sur la pédale de frein, ou parce que la relance sera trop forte. Mais avant de le maîtriser complètement, nous sommes tous passés par là...



Le vrai, le faux ?



Il existe depuis quelques années une polémique sur la réalisation du Talon-Pointe. Il y aurait un vrai et un faux, et seul les "pilotes de la mort qui tuent" utiliseraient le "VRAI" ! Mais en réalité il ne s’agit pas de falsifier une technique, mais de s’adapter aux évolutions techniques de nos boites de vitesses. En effet, l’ancienne génération du Talon-Pointe couplait la technique avec le "Double-Débrayage". Par exemple, sur un véhicule historique qui n’est pas équipé d’une boite de vitesses synchronisée, il est obligatoire de d’effectuer un double débrayage pour que les vitesses rentrent, sinon ça craque ! Sur les véhicules modernes, ce
n’est plus la peine de le faire car les synchros nous facilitent la tâche. Pour bien comprendre, il faut regarder à l’intérieur d’une boite. Si vous êtes perdus à la fin de cette page, pas de panique ! La réalisation du premier suffit largement de nos jours.


En essayant de schématiser simplement la situation, il y a un arbre primaire et un secondaire. Le primaire est celui qui est en lien avec le moteur (lorsqu’on est embrayé), le secondaire est celui de sortie, en lien avec les roues. Faire un double débrayage consiste à relancer l’arbre primaire pour que les pignons s’emboitent plus facilement lorsque l’on rétrograde. Il faut relâcher l’embrayage lorsque le levier de vitesse est au point mort, et mettre un coup de gaz à ce moment précis. Vu qu’on est embrayé mais en position neutre, le moteur va redonner de la vitesse à l’arbre primaire tandis que l’arbre secondaire continuera de tourner avec les roues. Lorsqu’on terminera l’action du rétrogradage avec le levier de vitesse, les deux arbres tourneront à des vitesses à peu près similaires en supposant qu’on ait fait la bonne relance... Les pignons pourront donc s’emboiter sans difficultés et il n’y aura pas de "craquage". Depuis maintenant de nombreuses années, il y a des "synchros" dans les boites de vitesses qui aident les pignons à s’emboiter. Faire la version "simple" suffit pour éviter le blocage de boite et les mauvaises surprises surprises en pilotant une propulsion. Détailler tout le fonctionnement d’une boite de vitesses et la fonction des synchros sortirait du contexte du pilotage automobile. Nous vous avons juste donné quelques éléments pour comprendre ce qu’il se passe mécaniquement et l’intérêt de réaliser la technique du Talon-Pointe. Pour ceux qui souhaitent approfondir le sujet (et qui ne se sont pas endormis), vous trouverez sur les sites stephane.genouel.free.fr et www.engineworld.fr de quoi comprendre en détail le fonctionnement d’une boite de vitesses.



Cet article est issu du numéro 4 du magazine Racer's, que vous pouvez
télécharger en intégralité sur www.racers-lemag.fr